Si aujourd'hui les paroles de la chanson légendaire de Trust "Antisocial" résonnent différemment, c'est que le monde a changé. "Tu perds ton sang-froid" et "Enfin le temps perdu qu'on ne rattrape plus" n'ont jamais autant collé au sens des réseaux sociaux, même si ce n'était évidemment pas le sens original de cette chanson de 1980.
Pour contextualiser : "Antisocial" de Trust dénonçait à l'époque l'individualisme grandissant de la société, la perte de lien social authentique et l'aliénation urbaine. Bernie Bonvoisin y critiquait une société où chacun se replie sur soi, devient méfiant envers autrui. Ironiquement, 45 ans plus tard, ces paroles trouvent une résonance troublante avec l'ère des réseaux sociaux : ces outils censés nous connecter nous rendent parfois plus antisociaux que jamais.
Sur les réseaux sociaux, les pertes de sang-froid sont courantes et notamment quand on scrolle sans fin, combien de temps est perdu sans avoir fait quelque chose de véritablement utile ? Les Français passent désormais 1h48 par jour sur les réseaux sociaux selon les dernières données de 2025, soit plus de 11 heures par semaine à scroller, liker, commenter, souvent dans une boucle infinie qui nous laisse plus vides qu'épanouis.
Quand Facebook est arrivé en France en 2008 (et non 2007 comme je le pensais dans mes souvenirs), j'ai été parmi les premiers à l'accueillir à bras ouverts. Je pensais sincèrement que c'était une grande avancée pour le bien social de l'humanité : pouvoir communiquer facilement avec les gens, partager facilement nos moments de vie, nos passions, nos découvertes...
Fini les forums compliqués à expliquer et à initier aux personnes extérieures à ces milieux techniques. Fini les Skyblog et autres systèmes pour partager ses envies, ses hobbies, ses joies... En 2008, loin de moi l'idée qu'on puisse un jour partager des mauvaises nouvelles, des idées noires, de la désinformation ou de la haine sur ces plateformes.
Oui, je me rends compte aujourd'hui, c'était imaginer avec beaucoup de non-dits, voire même une certaine hypocrisie naïve : on souhaitait "bonne anniversaire" à tout-va sans même réfléchir à la date réellement, on voyait la notification et hop, on envoyait un message automatique. L'illusion de la connexion sociale remplaçait déjà le lien authentique.
Si au début, pendant au moins 2 ans, mes proches ne voyaient pas l'intérêt des réseaux sociaux - "Je vais pas raconter ma vie intime et privée sur le net, je vais pas poster des photos de moi ou de mes proches en public, si je veux garder contact avec des gens, je les appelle ou je leur écris" - ils avaient probablement raison.
Je me sentais assez seul avec 2-3 amis proches, une dizaine de personnes connues il y a longtemps à l'école ou ailleurs mais sans affinité, et puis beaucoup de personnes que je ne connaissais pas vraiment : des homonymes, des gens que je confondais avec d'autres, ou juste des amis d'amis d'amis... La quantité remplaçait déjà la qualité.
Les chiffres le confirment aujourd'hui : en 2008, Facebook France comptait à peine quelques centaines de milliers d'utilisateurs. Nous étions les beta-testeurs d'une révolution sociale dont nous ne mesurions pas les conséquences.
Puis est venu le raz-de-marée. Les données que j'ai analysées montrent une croissance exponentielle :
En 2008, Facebook se normalise et gagne massivement en visibilité en France (année du redesign et de la montée en puissance de la plateforme) — nous étions les bêta-testeurs d'une révolution qu'on n'imaginait pas entièrement. Les chiffres d'audience varient selon la méthodologie (comptes, audiences publicitaires, MAU), donc je préfère parler de tendance plutôt que d'un chiffre précis à cette époque.
Tout le monde s'y est mis. Nos parents, nos grands-parents, nos collègues... Facebook était devenu the place to be. Les réseaux sociaux représentaient alors 71,2% de la population française.
Paradoxalement, plus nous étions "connectés", plus nous nous éloignions. Les appels téléphoniques ont chuté, les lettres ont disparu, même les SMS ont été remplacés par des likes et des emojis. L'impudeur sociale s'est généralisée : tout le monde partageait tout, tout le temps.
Tu as absolument raison de soulever ce point crucial : l'évolution technologique est LE facteur qui explique cette transformation sociale. Si au début de Facebook (2008), c'était principalement sur l'ordinateur fixe familial qu'on allait poster les photos via l'appareil photo numérique - avec tout le rituel de récupération des photos sur l'ordinateur -, l'arrivée massive des smartphones a complètement révolutionné notre rapport aux réseaux sociaux.
La révolution des smartphones à écran tactile a démarré en 2010, avec un impact majeur : les ventes mondiales sont passées de 139 millions d'unités en 2008 à 1,43 milliard en 2023. En France, les données 2025 sont édifiantes :
Cette démocratisation a donné un certain coup d'essor aux réseaux sociaux grâce à la possibilité de pouvoir les consulter depuis n'importe où, à n'importe quel moment. L'instantané a remplacé la réflexion, la spontanéité a supplanté la curation.
Cette évolution technologique a permis l'émergence de réseaux sociaux beaucoup plus adaptés aux téléphones, comme TikTok avec ses vidéos verticales. Contrairement à Facebook et YouTube qui ont dû s'adapter au mobile, TikTok a été conçu mobile-first dès 2016. Le format vertical, parfaitement adapté à l'écran de smartphone tenu en main, est devenu la norme.
TikTok domine la consommation mobile : les études récentes estiment une moyenne proche d'1 heure par jour (≈ 35 h/mois) par utilisateur selon les données mondiales, ce qui explique le déplacement massif des usages, surtout chez les 15-24 ans. Les données françaises de 2024 indiquent 38h38 mensuelles pour TikTok, soit près de 3 fois plus que Facebook (13h46/mois).
Aujourd'hui, on peut voir des gens - adolescents, adultes, même seniors - sur leur téléphone tels des zombies numériques. Combien de fois se balade-t-on dans la rue, on regarde droit devant soi (en étant entre guillemets "antisocial"), et on croise des gens qui ont le nez dans leur smartphone, qui ne regardent même pas où ils vont, qui sont à deux doigts de vous bousculer, ou qui ne regardent pas les feux de circulation et risquent de se faire écraser à tout moment en traversant ?
Cette "nomophobie" (peur d'être sans mobile) touche désormais tous les âges : selon un sondage Odoxa (2022), ~8% des Français se disent totalement dépendants de leur smartphone et une proportion bien plus large reconnaît des pratiques à risque liées aux écrans (environ 29% selon différentes mesures du Baromètre numérique).
Le sujet devient ultra sérieux, voire dramatique pour les plus jeunes, certainement les moins de 3 ans. Il n'est plus rare maintenant de croiser une mère de famille souhaitant la tranquillité pendant les courses, laissant à son enfant assis dans le chariot de moins de 3 ans un téléphone avec des vidéos YouTube en continu.
Les données scientifiques sont formelles :
Face à ce constat, l'État a réagi : depuis le 3 juillet 2025, les écrans sont officiellement interdits dans tous les lieux d'accueil du jeune enfant en France. Cette mesure, issue des recommandations de la Commission sur les écrans remise au Président en avril 2024, vise à protéger les enfants de moins de 3 ans des risques sur leur développement.
Les repères d'âge officiels, intégrés au carnet de santé depuis janvier 2025 :
Tout le monde s'accorde aujourd'hui à penser que ce n'est peut-être pas très bon d'être devant des écrans très jeune, même si le sujet reste clivant entre les familles. L'étude ELFE sur 14 000 enfants français confirme cette technoférence : l'utilisation d'écrans perturbe les moments d'interaction avec les adultes et nuit au développement du langage, de l'attention, des compétences émotionnelles et sociales.
Depuis 2022, j'ai opéré de grands changements dans ma vie et notamment l'arrêt des réseaux sociaux en mon nom propre. Il ne me reste que mon compte X (ex-Twitter) pour suivre l'actualité, mais Twitter/X, c'est encore une autre histoire sur laquelle on reviendra.
Étonnamment, je me sens de nouveau seul. Oui, les temps ont changé : les gens ne s'appellent presque plus et ne s'écrivent encore moins. Aujourd'hui, quasi plus personne n'a peur de se poster, et encore plus aujourd'hui avec des vidéos. Les gens sont presque devenus "impudiques" socialement.
Cette solitude, je ne suis pas le seul à la vivre. Les études récentes montrent que 83% des salariés français expriment le souhait de réduire leurs usages numériques, révélant une prise de conscience massive. Et paradoxalement, 59% des utilisateurs réguliers estiment leur temps d'écran excessif.
Oui, j'ai retourné ma veste. Pas parce que je m'étais trompé d'opinion sur l'utilisation des réseaux sociaux, mais bien à cause de ce que les gens en ont fait. La désinformation, l'hypocrisie quasi généralisée, la polarisation des débats, l'addiction comportementale, l'exhibition permanente, le cyberharcèlement, la surveillance de masse, la manipulation algorithmique...
Plusieurs sondages récents montrent une augmentation de la défiance : une part croissante des Français considère les réseaux sociaux comme un danger pour la société plutôt qu'un bénéfice. Le sentiment de dégradation du lien social progresse également dans les baromètres d'opinion, les écrans étant de plus en plus identifiés comme facteur de division sociale.
Je me sens "ulcéré" en voyant la grande partie des partages ou publications, souvent avec énormément de biais (en tous genres), volontaires ou non, qui cherchent à tout prix à influencer les opinions. Les algorithmes amplifient les contenus clivants pour maintenir l'engagement, créant des bulles de filtres et des chambres d'écho qui divisent plus qu'elles ne rassemblent.
L'addiction comportementale : 36% des jeunes Américains déclarent passer trop de temps sur les réseaux sociaux. En France, 46% des 15-24 ans se connectent toutes les heures ou plus.
L'impact sur la santé mentale : Les études les plus récentes, notamment celle publiée dans Nature en 2025, révèlent des effets mitigés de la "digital detox", mais confirment des bénéfices sur le sommeil et la réduction de certains symptômes dépressifs.
La désinformation massive : 29% des jeunes consultant TikTok plusieurs fois par jour pensent que l'assaut du Capitole aux États-Unis en 2021 a été mis en scène, contre seulement 19% des jeunes ne consultant jamais TikTok.
La surveillance et manipulation : L'exploitation des données par Meta pour entraîner l'intelligence artificielle constitue une préoccupation croissante depuis 2025, avec l'affaire Cambridge Analytica toujours dans les mémoires.
Les données récentes révèlent un phénomène fascinant : les Français ne quittent pas massivement les réseaux sociaux, ils migrent. Les mesures d'audience montrent une baisse de l'audience Facebook en France depuis la fin des années 2010 selon certaines méthodes de calcul. Selon DataReportal/Meta, l'audience publicitaire de Facebook en France se situe autour de 31-32 millions d'utilisateurs début 2025 (≈47% de la population), confirmant un déclin par rapport au pic historique.
Dans le même temps, TikTok explose avec +6,7% d'utilisateurs en 6 mois en 2024-2025. La France représente 25% de la croissance européenne de TikTok. Les jeunes de 15-24 ans ont massivement déserté Facebook (qui arrive en 5ème position après Snapchat, Instagram, TikTok et WhatsApp) pour se tourner vers des plateformes plus "authentiques" ou du moins, différentes.
Mais est-ce vraiment mieux ? TikTok fait l'objet d'un rapport parlementaire français accusant la plateforme d'exposer délibérément les jeunes à des contenus nocifs via un "piège algorithmique". L'Assemblée nationale envisage même un couvre-feu numérique pour les 15-18 ans entre 22h et 8h.
Je me sens mieux sans les réseaux sociaux : plus apaisé, encore plus tolérant, compréhensif de l'état d'esprit des autres. Cette sensation, je ne suis pas le seul à la vivre.
Les témoignages de "déconnectés volontaires" convergent :
Anaïs (@slownotion.fr), artiste ayant abandonné 7 000 abonnés Instagram : "Ma vie sans Instagram est plus douce, ancrée et sereine"
Cindy Barillet, peintre qui a quitté tous les réseaux : "Moins de stress, plus de création authentique"
La science confirme certains bénéfices :
Comme je l'évoquais plus tôt, j'ai conservé mon compte X (ex-Twitter) pour suivre l'actualité, mais avec une approche radicalement différente. Plutôt que de subir passivement l'algorithme et ses dérives, j'ai mis en place une stratégie de filtrage active.
Concrètement, j'ai développé une liste de "banwords" - des mots-clés que je masque automatiquement pour ne plus voir certains contenus obscurantistes, polémiques stériles ou désinformation. J'ai aussi banni volontairement certains fils d'actualité et comptes qui alimentent la colère et la division plutôt que l'information constructive.
Cette approche correspond à une tendance plus large : X/Twitter connaît une hémorragie avec une baisse impressionnante de près de 10% du nombre d'utilisateurs par rapport au semestre précédent, probablement liée à la migration vers Bluesky et Threads. Beaucoup d'utilisateurs fuient la toxicité grandissante de la plateforme depuis son rachat par Elon Musk.
Cette approche me permet de garder les bénéfices informatifs de Twitter tout en évitant ses dérives addictives et polarisantes. C'est un peu comme avoir un journal personnalisé, débarrassé des faits divers anxiogènes et des polémiques artificielles.
Les données le confirment : X reste une plateforme d'information pour beaucoup (30,4% des utilisateurs s'en servent pour "rester au courant de l'actualité"), mais la modération de contenu devient un enjeu personnel. Chacun doit créer ses propres filtres face à l'abandon progressif de la modération par la plateforme elle-même.
Aujourd'hui, 50,4 millions de Français utilisent les réseaux sociaux (75,7% de la population), un chiffre qui stagne depuis 2021. Nous avons atteint le plateau de maturité. Pratiquement tous ceux qui voulaient/pouvaient rejoindre les réseaux sociaux l'ont fait.
L'avenir semble se dessiner autour d'un "numérique intentionnel" - comme mon approche avec Twitter/X - où chacun reprend le contrôle de sa consommation d'information :
Peut-être que Bernie Bonvoisin avait vu juste en 1980. Peut-être que pour retrouver du lien social authentique, il faut parfois accepter d'être temporairement "antisocial" au sens numérique du terme.
Ma déconnexion n'est pas un rejet de la technologie, mais un choix conscient de privilégier la qualité sur la quantité, l'authenticité sur la performance, la contemplation sur la consommation effrénée de contenus.
Les réseaux sociaux ne sont pas intrinsèquement mauvais. Ce sont les dérives de leur utilisation, amplifiées par des modèles économiques basés sur la captation de l'attention, qui posent problème. 20% des 18-24 ans se disent prêts à se priver des réseaux indéfiniment : nous ne sommes plus seuls dans cette démarche.
Comme le chantait Trust : "Le temps perdu qu'on ne rattrape plus". Il est peut-être temps de rattraper le temps présent, celui de la vraie vie, des vraies rencontres, des vraies conversations.
Et vous, êtes-vous prêts à devenir "antisocial" pour redevenir vraiment social ?
Sur les chiffres d'audience : Les données varient selon les méthodologies employées (ad reach publicitaire, MAU - utilisateurs actifs mensuels, comptes totaux). Lorsque des comparaisons sont faites entre années ou plateformes, elles peuvent reposer sur des bases différentes. Les sources principales utilisées : DataReportal / We Are Social / Meltwater (Digital Report 2025), ARCEP (Baromètre numérique 2024-2025), Statista, Hootsuite.
Sources principales citées :